J’adore voir les gens heureux. Ca pétille, ça met de la joie dans les cœurs, c’est un peu le meilleur des sentiments. En ce vendredi après midi, le soleil était revenu sur Bordeaux. La veste était facultative tant on frôlait les 20 degrés, et c’était avec un peu d’hésitation que je choisissais les rues de ma balade. Evitant les grands et moyens axes, pour ne pas emplir mes poumons de gaz d’échappement à cause des bouchons, j’ai vadrouillé dans les petites rues, ces petits coins où presque personne ne passe et où on a souvent l’impression de ne plus être dans la ville mais dans un village.
Et au bout d’une heure et quelques, alors que je rentrais, j’entends un brouhaha. C’était la foire aux plaisirs (fêtes foraine) de Bordeaux. Je sentais de l’autre bout de la place les effluves de grande gastronomie : ça sentait le kebab et la frite. J’entendais des gens hurler, je me suis dit : allez, pourquoi pas y faire un tour.
Pour moi la fête foraine, c’est un grand souvenir. Ma mère m’y emmenait, depuis tout petit. J’en ai fait des tours de chenille, je peux vous l’assurer. Et du toboggan avec des tapis aussi. L’assurance de me voir ronfler le soir comme un petit ange. Là, maintenant, à 27 ans, quand j’y vais, c’est plus calme, je sens les gravillons craquer sous mes baskets, je regarde les gens voltiger à droite à gauche dans des manèges, je prie d’ailleurs pour ne pas recevoir quelque chose sur la tête. Je m’autorise aussi deux fois par an une petite gourmandise, comme des churros ou un beignet (mascotte, comme ils disent) au Nutella. Et je regarde.
Je regarde cette maman avec son petit enfant émerveillé de pêcher des canard en plastique. Celui qui rigole parce qu’il ressort d’une attraction qui lui a plu. Cette grand mère ravie d’accompagner ses petits enfants dans le train fantôme, et qui rigole tout autant qu’eux. Mais aussi ces groupes, qui parcourent les lieux avec comme devise le fameux « je parie que tu montes pas là dedans ! » avant d’hurler avec terreur quand ils viennent de finir de faire un looping. Et ces jeunes amoureux, qui regardent eux aussi tout cela, avant de manger de la barbe à papa. Moi, les doigts tous gras de mon cornet taille familiale de pâte frite, je me balade comme un enfant de huit ans devant les plus grosses attractions du coin, souvent au fond de la foire.
Un petit groupe de jeunes est monté dans le « Banzai » une attraction en demi cercle où un train est tracté en haut de la courbe de près de 40 mètres de haut avant d’être relâché vers la gravité. Tout le monde est pimpant, fait coucou en bas, le crochet attrape l’arrière du train, les gens se crispent, puis partent de la terre ferme. Arrivés à 40 mètres de haut, ils prennent 4G dans le corps, soit 4 fois le poids de leur corps. Imaginez, c’est comme si d’un coup je pesais 320 kilos (de muscle hein, pas de churros compacté). Le crochet vient de lâcher la joyeuse troupe, ils passent de 0 à 130 kilomètres heure en 3 secondes et encaissent la courbe, remontent, redescendent, remontent, redescendent… Les gens ont la glotte dans les sinus à force de hurler, les cheveux dans le larynx, et les fesses qui font bravo. Le speaker hurle dans ses enceintes à 3522 décibels « VOUS EN VOULEZ PLUUUUUS ? » Les gens sont modérément chauds d’un coup, mais le crochet redescend. Les gens repartent vers le haut des rails. Ils font moins coucou d’un coup à leurs proches restés en bas, qui eux sont bien plus hilares désormais. Après un deuxième largage, ils reviennent sur la terre ferme. On en voit avec des auréoles énormes, certains sont plus ou moins hésitants dans leurs démarches. On sent qu’ils ont encore l’estomac coincé dans l’œsophage.
Entre deux attractions, les stands se livrent à une véritable joute sonore, c’est à celui qui remuera le plus les organes internes du type lambda qui passe avec une avalanche de basses. Je regarde encore quelques manèges, dont un de mes préférés : l’infinity, qui est une nacelle avec une hélice, et qui fait sur un axe une rotation complète, en faisant tourner les gens qui hurlent comme des petits porcelets. Ils commencent gentiment par un balancier, avant de partir en l’air et de revenir la tête en bas, sur le côté…les gens scrutent mais peu s’y aventurent, c’est d’ailleurs à ce moment là qu’il faut y aller, car les tours sont plus spectaculaires et plus longs, pour faire la promo du manège. Reste que c’est souvent comique de voir un type faire une grande promo de son manège en demandant aux passagers si ils sont prêts alors qu’ils ne sont que quatre dans la grande nacelle.
Le soleil déclinait, comme la température, et les gens commençaient à se laisser porter vers les stands de kebabs et sandwichs, j’ai pensé qu’il était plus raisonnable de rentrer à pieds, pour évacuer un peu les churros, avant de pédaler ce soir quelques kilomètres.
Cet univers me met toujours la larmichette à l’œil, voir des gens heureux dans le contexte actuel c’est tellement rare, là tout le monde se rassemble, pour être secoué, agité, et valdinguer à travers des manèges. C’est génial, même si on ne veut pas pratiquer, de regarder, en grignotant des petites choses. Et ce, même si en rentrant je me suis aperçu que mes cheveux sentaient la fumée de la machine à fumée des attractions, et que je devais aussi sentir un peu le graillon. Mais qu’importe, j’étais content, un petit sourire de gamin dans la tête, et le cœur léger.